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Le réseau ; un effet de mode ou non ?

Un concept à la loupe 

 Une étymologie métaphorique

Le mot “réseau” vient du latin “retiolus”, diminutif de “retis” qui signifie filet. Sont de même racine les termes :

– “rétine” (qui immédiatement évoque l’oeil, le regard, la vision),

– “réticule” (qui convoque également des notions d’optique… Mais aussi, c’est insolite mais pas sans symbolique, le nom donné à une sorte de petit sac à main utilisé par les femmes au XIXè siècle),

– “réticulaire” (qualifiant une pensée “en système”, une énergie “cristallisante et cohésive”

– “résille” (qui évoque un maillage ajouré, fait pour contenir des éléments sans les cacher),

– “rets” (qui désigne un filet de pêche ou d’ornithologie et prend au figuré le sens de “piège” : “être pris dans les rets” de quelqu’un ou de quelque chose, c’est en être le comptable voire l’otage)…

Prometteuse fouille, déjà, que celle des origines du mot en français…

Mais ne nous arrêtons pas aux frontières de la francophonie : l’espagnol “red” et l’italien “rete” sont de même racine mais les anglo-saxons ont choisi le mot valise “network” (qui associe les innombrables assonances de “net” – toile, tulle, clarté – , à la notion de “travail”, ce qui en dit long sur le fait que réseauter est bien un vrai boulot!).

En d’autres termes, à ce simple stade de généalogie linguistique, nous voilà avec une notion extraordinairement riche et formidablement métaphorique qui contient autant de pistes de réflexion dynamiques que l’articulation entre le voir et le faire, le contenu et le contenant, le visible et le dissimulé, l’appartenance et l’influence, l’accès et la restriction, l’individu et la communauté, le spontané et le travaillé… Ça promet!

Une nature nucléaire

Métaphorique, la notion de “réseau” l’est parce qu’elle est descriptive : le fait précède l’intention, et devance en toute logique le concept. Car faire du réseau, c’est bien une fonction spontanée du vivant : c’est l’organisation des vaisseaux sanguins, l’arbre qui déploie ses racines, la nature qui se développe en écosystèmes…

Et même avant cela, au minimum de l’existence physique des choses, c’est l’atome, composé en constellation d’éléments distincts en lien actif les uns avec les autres.

Car le réseau est bien de nature nucléaire : il fait noyau fonctionnel et centre de gravitation au coeur des interactions.

Le réseau social, une facture spontanée de l’humain?

Tout en gardant à l’esprit ces notions de “fonctionnalité”, de “gravitation” et d’ “interactions”, quittons le terrain un peu abrupt de la physique pure pour revenir à ce qui nous concerne plus directement : les réseaux que bâtissent et animent les humains.

A vrai dire, le réseau est aux fondements mêmes de la société. Et lui est vital. Il l’est de toute évidence quand le réseau est de canalisations (pour raccorder chacun-e en eau ou en énergie, par exemple), de transport (pour mailler un territoire et en rendre accessible ses contrées multiples aux fins des allées et venues des hommes et marchandises) ou de communication (pour permettre l’échange des nouvelles, des attentions, des idées, des points de vue…). Il l’est encore quand, dématérialisé, il produit de la communauté : de culture, de valeur, de sens et/ou d’intérêts, entre autres.

Le réseau, architecte des relations, est bien le contraire même de l’anarchie. Il institue un corps collectif ordonné, reconnaissant ses membres, lesquels acceptent des principes partagés pour le bien commun.

Le réseau, restrictif de la liberté individuelle?

Mais jusqu’où cette appartenance dont découle la reconnaissance et cette acception de principes collectifs supérieurs au plus pur libre-arbitre vont-elles? Jusqu’à la préférence à soi de la communauté? Jusqu’au sacrifice de l’identité propre et de la liberté individuelle?

C’est aux théoriciens du contrat social que l’on renvoie la question : après les philosophes antiques qui ont qualifié l’humain d’animal politique (c’est à dire naturellement disposé à entrer en société), après Hobbes qui a théorisé le besoin de sécurité des individus qui préside à l’acceptation de règles collectives et après Locke qui a défini le rôle de l’Etat (réseau fonctionnel institué s’il en est), la philosophie des Lumières, et Rousseau en particulier, développe la notion d’intérêt général, placé sous la responsabilité de chacun-e.

Il y aurait donc, par delà la seule règle écrite qui sanctionne l’acte inconforme aux lois de la communauté, une conscience du bien commun qui autorise et permet la souveraineté populaire. En d’autres termes, être “appartenant”, ce ne serait que restreindre à des règles sociales acceptées la vaste étendue sa liberté que pour acquérir son autonomie.

Réseaux et influences

C’est donc bien de dynamique démocratique que l’on parle. Mais si cela s’entend assez aisément pour le réseau “Etat” en contexte républicain et dans un format relativement libéral d’exercice des droits individuels, ça n’est pas si évident quand il s’agit d’autres communautés soupçonnées à tort ou à raison de contester, contourner ou exploiter les valeurs de la démocratie au bénéfice d’intérêts communautaires et/ou particuliers.

Car ce qui titille, dans les réseaux, c’est bien cela : au service de qui et de quoi sont-ils? Comment garantir qu’ils poursuivent de nobles objectifs? Comment mesurer leur influence et qui la contre, au besoin?

Réseaux, clubs, cercles, amicales et autres groupes d’intérêt : de l’entre-soi au lobbyisme?

Le réseau, informel (quand il est simple cercle de relations, groupe d’ami-es, parfois inconscient de lui-même…) ou institué (quand il est club, amicale, corporation, groupement d’intérêt, fédération ou association) n’est pas sans susciter les fantasmes : sectarisme, cooptation, exclusivisme, influence souterraine…

Mais préférons aux présomptions la critique circonstanciée : celle qui interroge les raisons avouées ou non de “faire réseau” à l’intérieur de ou bien par-delà la communauté démocratique.

La sociologie des années 1960, de part et d’autre de l’Atlantique, de l’Ecole de Chicago au courant Bourdieusien, s’est intéressée tout particulièrement aux réseaux informels. Ceux de “l’entre-soi”, plus ou moins inconscient pour les individus “faisant corps” et qui profitent de par leurs origines et l’environnement dans lequel ils évoluent, de toutes sortes d’avantages favorisant leur prospération sociale : accès à l’information, aisance à maîtriser les codes et registres des espaces de valorisation, solidarité des assimilés et pairs…

 le réseau informel, structure sociale plus ou moins invisible mais puissante, crée et perpétue des inégalités sans que l’on puisse jamais lui reprocher d’avoir délibérément oeuvré contre l’égalité des chances : après tout, n’est-il pas normal (et d’ailleurs en large partie hors de notre contrôle) d’apprendre les codes de notre milieu à nos enfants, est-ce piston éhonté que de simplement faire savoir à un-e ami-e en recherche de poste que telle ou telle entreprise recrute des collaborateurs, qu’y a-t-il de condamnable dans le fait de provoquer la rencontre entre des proches qui ont des centres d’intérêts communs?

Et partant, puisque tout cela existe dans les faits, n’est-ce pas légitime – et finalement peut-être plus direct – de donner nom, statut et pignon sur rue aux réseaux en les constituant de façon volontariste avec une intention assumée de faire progresser celles et ceux qui en sont membres?

Pour un réseau professionnel éthique Car oui, plus que jamais à l’ère où les “soft skills” sont clés dans l’insertion sociale et professionnelle, la capacité à tisser, entretenir et animer du réseau constitue un atout inestimable pour la réussite.

Aussi, intégrant les enseignements de la réflexion contradictoire, la question n’est pas tant “faut-il réseauter ou non?” mais bien “comment réseauter aussi efficacement qu’honnêtement?“.

La voie première pour relever ce défi, c’est bien sûr la conscience : se garder du déni (“moi réseauter, jamais, c’est pas le genre!“) puisque chacun-e, dès lors qu’il est en lien avec d’autres fait son Monsieur Jourdain du networking ; et conserver lucidité comme cap de sens sur ses attentes à l’égard de son réseau (valoriser ses talents et développer son potentiel, gagner en visibilité et en influence pour faire avancer ses idées et ses projets, rechercher le frottement constructif avec autrui dans un environnement sécurisé…).

La question de l’accès et celle qui lui est attenante de la transparence se pose aussi : qui peut “entrer” dans votre carnet d’adresse et qui peut le consulter, qui peut rejoindre votre cercle de bienveillance, qui peut bénéficier de votre soutien et de celui de vos ami-es et ami-es d’ami-es? Et selon quels critères? Assumés et affirmés (réseau exclusivement féminin ou bien mixte? Réservé aux cadres ou ouvert à tout niveau de l’organisation? Procédant d’une communauté de métier ou étendu à tous les univers professionnels? etc.) ou relèvent-ils de l’agrément au cas par cas, avec ou sans motif établi d’acceptation?

Se joue encore le positionnement dans le réseau : espace politique au sens philosophique du terme, il n’est évident pas exempt de commerces de pouvoir, en témoigne le fait même qu’on parle de “têtes de réseaux” pour celles et ceux qui montrent une grande capacité à faire “jouer les relations” et à influencer leur environnement. Ce n’est pas un mal en soi, mais la compréhension fine de cela aidera à trouver sa juste place et à définir clairement ses intentions et aspirations.

Le réseau hors le réseau, pour des espaces de friction constructive

Pour finir, ce sont les rapports du réseau avec d’autres univers qui sont sans doute les plus intéressants à explorer.

Car s’il est une richesse inestimable pour des relations sociales fertiles en son sein, le réseau ne va épanouissant l’individu qui en fait partie, que lorsqu’il favorise aussi l’interaction avec ce qui n’est pas le réseau : quand il devient par exemple une force de proposition légitime pour la direction d’une entreprise (et de nombreux réseaux professionnels auront ainsi défini l’une de leurs missions : porter la voix des femmes et de l’égalité dans l’organisation), quand il offre à la discussion publique les résultats de ses travaux et peut initier de bonnes pratiques.

Résautez, réseautons donc, puisque cela nous est, en tant qu’individus comme en tant que collectif, fondamentalement naturel et possiblement très bénéfique. Mais réseautons en dynamique, en interrogations et en confrontations fécondes

Source blog Eve

 

 

Egalité pro, leadership partagé : ce qu’il faut retenir de juin 2015

D’après EVE LE BLOG

L’étude du mois : une femme au top, ça va… Plusieurs, ça coince!

Quand une femme atteint les sommets de la hiérarchie d’une entreprise, les chances pour qu’une deuxième femme la rejoigne dans les hautes sphères de la prise de décision chutent de 50%! C’est le constat qu’ont fait des chercheurs américains, après analyse de la structure du top management de 1500 entreprises américaines sur les deux décennies écoulées. Diantre! Mais qu’est-ce qui explique cet étrange phénomène de ré-érection de barrières à l’entrée des instances dirigeantes pour les femmes quand d’autres femmes ont réussi à surmonter les obstacles? Cela ne vient-il pas contrer toute la rhétorique du souffle aspirationnel attendu des rôles-modèles?

Mettant en échec le fâcheux stéréotype qui ferait supposer que les femmes ayant tiré leur épingle du jeu ne tendraient pas la main aux suivantes (voire leur feraient des croche-pattes), les auteurs de l’étude évoquent l’existence d’un “quota implicite” de femmes leaders dans chaque organisation. En d’autres termes, nommer une femme à un poste à hautes responsabilités “suffirait” à considérer que l’objectif de mixité est atteint. En substance, ironise Cristian Deszö, co-rapporteur de l’étude, on se dit qu’une seule femme au top, c’est certes peu, mais déjà mieux que pas du tout, et surtout plus que ce que font les autres!

L’étude révèle en effet que le bénéfice d’image attribuable à la “deuxième femme” nommée à un poste en vue est significativement inférieur à celui qu’offre la première ; et ça va encore déclinant avec la troisième et les suivantes.

Pour faire réellement progresser la mixité, les chercheurs invitent alors à détourner le projecteur des seules instances dirigeantes pour concentrer les efforts de mixité sur l’encadrement intermédiaire et supérieur, de façon à banaliser le leadership au féminin plutôt que de mettre en avant un petit nombre de “femmes d’exception”, dont la présence viendrait davantage confirmer la “règle” d’un pouvoir ordinairement masculin et extraordinairement féminin, que véritablement bousculer les “règles du jeu” de l’accès aux responsabilités.

Le #fail du mois :quand un Nobel de médecine veut sortir les femmes des laboratoires pour laisser les hommes scientifiques travailler en paix!

Les lauréat-es du Prix Nobel, c’est 94% d’hommes! Et parmi eux, le biochimiste anglais Tim Hunt qui a provoqué un tollé en exprimant publiquement, lors d’une conférence de presse, sa réticence à travailler avec des femmes. Car selon lui, celles-ci posent “trois problèmes” : “Vous tombez amoureux d’elles, elles tombent amoureuses de vous, et quand vous les critiquez, elles pleurent“. Et le voilà plaidant pour des labos non-mixtes!

Ce qui n’a pas du tout plu à la Royal Society dont il est membre et qui s’est empressée de se désolidariser de propos contraires à sa politique d’attractivité des talents en tout genre menée depuis plusieurs années…

Tim Hunt a démissionné de son université quelques jours après, en regrettant que ses propos “bon enfant” (sic) aient pu heurter les consciences. Pendant ce temps, quelques femmes scientifiques concoctaient une vidéo humoristique pour s’excuser d’être trop “sexys” au boulot… Jugez-en par vous-même!

La plateforme du mois : le Guide des Expertes passe au numérique… Et à la vitesse supérieure!

Les femmes ne représentent que 18,5% des personnalités invitées à éclairer l’actualité dans les médias français, révélait le CSA il y a un peu plus d’un an. Les expertes sont-elles si rares dans le paysage intellectuel hexagonal qu’on ne saurait en trouver qu’une pour cinq hommes à convier sur les plateaux de radio ou télé?

A cette maussade hypothèse, l’éditorialiste Marie-Françoise Colombani a toujours refusé de se résoudre et voulant à la fois prouver que les expertes existent et faciliter leur identification par les journalistes, elle lançait il y a 4 ans le premier “guide” 100% femmes de talents, de savoirs et d’expériences…

Devenu depuis une institution, ce bottin des têtes bien faites prend cette année une nouvelle ampleur : désormais produit en partenariat avec le cabinet Egalis, France Télévisions et Radio France, il est gratuit, accessible en ligne 24h/24 et contient déjà plus de 200 notices présentant des femmes d’expertise (parmi lesquelles le blog EVE est heureux d’avoir repéré les figures familières de Brigitte Grésy, Hélène Périvier, Catherine Vidal, Cristina Lunghi, Emmanuelle Jardat, Barbara Meyer…).

Au-delà d’un simple annuaire, la plateforme des Expertes propose chaque semaine sa sélection des personnalités féminines disponibles pour éclairer les grands sujets qui font l’actualité : le Grexit par l’économiste Virginie Coudert, le début des soldes par l’observatrice des comportements des marques Caroline Lamy, les débats sur la surveillance informatique avec la chercheuse en informatique Maryline Laurent, la coupe du monde féminine avec la vice-présidente de l’organisation européenne European Association of Sport Employers, Gladys Béziers…

Le rapport du mois : la situation des pères dans le monde, un enjeu clé pour l’égalité et le progrès.

L’association MenCare vient de faire paraître le premier rapport international sur la situation des pères, en miroir de celui que produit depuis déjà plus de 15 ans l’ONG Save the Children sur la situation des mères.

Ce gros volume de près de 300 pages confirme, pour commencer, que les hommes (dont 80% sont pères ou appelés à le devenir au cours de leur vie) bénéficient d’un avantage global de rémunération et ne participent que pour un gros tiers (37%) aux tâches domestiques.

Cependant, ils sont presque partout de plus en plus nombreux à se sentir concernés par l’égalité et à aspirer à s’investir davantage dans la vie de famille, et en particulier dans les tout premiers mois de la vie de leurs enfants… Mais largement plus de la moitié (63%) des pays du globe ne prévoient pas de congé paternité et dans ceux où le dispositif existe, les hommes sont peu encouragés à en faire usage. En cause, disent les rapporteur-es de ce State of the World’s Fathers, un poids écrasant des stéréotypes de genre entretenant notamment une culture de la “complémentarité” femmes/hommes. La révolution libératrice des hommes n’a pas encore eu lieu…

Et pour la faire advenir, le rapport préconise 6 grands types de mesures : une prise en compte systématique de la question des hommes dans les travaux sur l’égalité pour ne pas faire de celle-ci une seule “affaire de femmes”, des plans d’action d’envergure (nationaux et internationaux) pour valoriser le “care” au masculin ; la poursuite et le renforcement des politiques de partage des responsabilités dans tous les espaces de l’existence des femmes et des hommes ; un ambitieux travail de fond de tous les acteurs politiques et économique pour réussir le passage de l’économie informelle à l’économie formelle et faire durablement bouger les lignes en matière d’écarts de richesse ; la conduite de programmes d’éducation et de sensibilisation aux stéréotypes tout au long de la vie pour les hommes et les femmes.

Retrouvez l’article complet sur EVE LE BLOG

Les femmes, des leaders comme les autres

© DR – En photo : Nathalie Roos, ex-présidente des marchés européens du groupe Mars, a rejoint la direction générale du groupe L’Oréal fin 2012. Dans le magazine Management de septembre 2011, elle déclarait notamment : « Les femmes, meilleures que les hommes ? C’est une fausse question. Le talent est également réparti entre les deux sexes. […] Si, dans notre groupe, nous avons du mal à recruter des “general managers” femmes, c’est notamment parce que ces dernières ne s’en sentent pas toujours capables. »
Non, les femmes managers ne viennent pas de Vénus ! Tordant le cou aux stéréotypes, des études récentes nous ramènent sur Terre.

Si Lehman Brothers s’était appelé Lehman Sisters, la banque n’aurait pas fait faillite ! Cette plaisanterie, qui circulait dans les milieux financiers au moment de la crise, est révélatrice d’une croyance de plus en plus répandue : les femmes seraient de bien meilleurs dirigeants que les hommes. Dans un rapport datant de 2012, la Commission européenne a listé une demi-douzaine d’études allant dans ce sens (1). Parmi ces enquêtes, celle de Catalyst, un cabinet de conseil américain, livre une conclusion qui se veut sans appel : les entreprises comptant une forte proportion de femmes au sein de leurs organes décisionnels réaliseraient 42% de bénéfices en plus et leurs capitaux investis afficheraient un rendement supérieur de 66% («The Bottom Line: Corporate Performance and Women’s representation on Board», 2007). L’efficacité économique de la gent féminine tiendrait à un leadership particulier et différent de celui des hommes. Pour faire court, et pour reprendre le titre d’une autre étude de Catalyst : «Les fem­mes font attention et les hommes tranchent» («Women take care, men take charge», 2005).

Déterminisme tenace. Deux chercheuses américaines se sont penchées sur les stéréotypes sexuels qui circulent dans nos sociétés (2). Dans l’inconscient collectif, les femmes sont perçues comme étant serviables, compréhensives, sensibles aux besoins des autres, compatissantes et émotives. Les traits masculins dominants, quant à eux, seraient l’indépendance, la compétition, la prise de décisions, la domination et l’agressivité. En découleraient deux styles de management bien distincts. Les hommes se révéleraient des chefs autoritaires et directifs(3), alors que les femmes privilégieraient un management démocratique et participatif, fondé sur une écoute plus fine de leurs collaborateurs et une plus grande capacité à consulter avant de décider. De là à les cantonner dans certains rôles de direction, comme les fonctions support, il n’y a qu’un pas…

Facteurs sociaux. thèses récentes prennent le contre-pied de ces stéréotypes postulant l’existence de valeurs portées exclusivement par les hommes ou les f­em­­­mes. Trois chercheurs américains ont ainsi montré que les femmes sont des entrepreneurs comme les autres (4). Selon eux, celles qui réussissent ne sont pas différentes de leurs homologues masculins. Leurs recher­ches montrent plutôt que les deux groupes sont similaires en matière de motivation, de passé, d’environnement, etc. La réussite tiendrait plus à des facteurs sociaux. «Le sexe n’est pas une variable per­ti­nente pour différencier les styles de lea­dership, renchérit Sarah Saint-Michel, enseignante-chercheuse au Centre de re­cherche en management de Toulouse (université Toulouse 1 / CNRS). Les fem­mes aux commandes sont des leaders comme les autres. L’idée d’un leader­ship propre aux femmes est infondée.» Pour parvenir à cette conclusion, la chercheuse a compilé 25 enquêtes européennes et américaines sur les qualités attribuées aux dirigeants et a analysé les réponses des collaborateurs de 20 000 patrons(5).

Style androgyne. Les travaux de Sarah Saint-Michel montrent que les individus interrogés ne font pas de différence entre les sexes. Ils perçoivent de la même manière leurs supérieurs hiérarchiques, hom­mes et femmes, du point de vue du style de leadership (charismatique, basé sur une vision parta­gée, ou plus conventionnel, lié à l’obtention de résultats) comme de la personnalité (courage, confiance en soi, empathie…). Pour eux, ce qui compte, c’est la façon dont les leaders eux-mêmes se voient et agissent. Ainsi, quel que soit le sexe du chef, si ce dernier se montre bienveillant ou à l’écoute, il suscitera un puissant sentiment affectif chez les salariés. De la même façon, qu’il soit homme ou femme, un leader se révélant autoritaire ou combatif éveillera une plus grande motivation de la part de ses collaborateurs.

Une étude norvégienne vient corroborer cette hypothèse (6). S’appuyant sur un questionnaire d’autoévaluation distribué à 917 top et middle managers (dont 34% de fem­mes), elle montre que ces dirigeants choisissent pour définir leur style de management des catégories (androgyne, féminin, indifférencié ou masculin) indépendantes de leur sexe. Il y a presque au­­tant de managers hommes affirmant avoir un style de leadership féminin que de femmes managers avec un style de leadership masculin. L’auteur de l’étude conclut en montrant la supériorité du style androgyne qui favorise l’innovation dans les entreprises.

Mixité = performance. Finalement, que l’on croie ou non à l’existence de valeurs féminines et masculines, on débouche sur la même conclusion : le mélange des genres et la mixité font la performance. On se dirige donc vers un modèle mixte de lea­dership. Sarah Saint-Michel évoque ainsi l’émer­gence d’un nouveau leadership asexué. Quant à Viviane de Beaufort, professeure-chercheuse à l’Essec, elle parle d’un leadership équilibré : «Le diri­geant moderne idéal et efficace doit conjuguer des compé­tences masculines (charisme, lea­der­ship, impartialité, capacité de décision, etc.) et féminines (relationnel, empa­thie, écoute, organisation, savoir, etc.)»(7) Bref, pour réussir, les entreprises ont tout intérêt à intégrer ce qu’Agnès Arcier, fondatrice de l’association de femmes hauts fonctionnaires Admi­nistration moderne, appelle le «quotient féminin» : la capacité à mobiliser les valeurs féminines dans leur management(8).

 Sébastien Pierrot

Bibliographie :

(1) “Les Femmes dans les instances de décision économique au sein de l’U.E : rapport de suivi”, 2012.
(2) J. Spence et C. Buckner, “Instrumental and expressive traits, trait
stereotypes, and sexist attitudes : what do they signify?”, “Psychology
of Women Quarterly”, mars 2000, vol. 24, pp. 44-53.
(3) A. Eagly, B. Johnson, “Gender and leadership style : a meta-analysis”, “Psychological Bulletin”, vol. 108, n° 2, pp. 233-256, 1990.
(4) J. Cohoon, V. Wadhwa et L. Mitchell, “The Anatomy of an Entrepreneur:
Are Successful Women Entrepreneurs Different from Men?”, Fondation Ewing Marion Kauffman, Etats-Unis, 2010.
(5) S. Saint-Michel, “L’Impact du genre sur les traits de personnalité des leaders et les effets sur leur style de leadership”, thèse de doctorat sous la direction de Jean-François Amadieu, Paris-I Sorbonne, 2012.
(6) A. Solberg, “A Gender Perspective on Innovation Management”, thèse de doctorat, université d’Oslo, département de sociologie et de géographie, 2010.
(7) V. de Beaufort, “Femmes et pouvoir : tabou ou nouveau modèle de
gouvernance ?”, Essec-Boyden, septembre 2012.
(8) A. Arcier, “Le Quotient féminin de l’entreprise”, Village mondial, 2002.