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Actualité KPMG : Portraits de femmes dirigeantes en France

KPMG vient de rendre publique sa passionnante étude « Portrait(s) de femmes dirigeantes en France ».

Fondée d’une part sur l’extraction et l’analyse comparative de données démographiques sur la période 2003-2013, d’autre part sur les résultats d’une enquête d’opinion menée par l’Institut CSA en 2015 et enfin sur une douzaine d’entretiens avec des femmes dirigeantes conduits avec l’appui du réseau « Women for Business », l’étude propose une photographie du leadership féminin aujourd’hui, en même temps qu’elle questionne la dynamique de mixité en entreprise. Qu’en perçoivent et qu’en attendent les dirigeant-es ? Et de quelle façon travaillent-ils/elles à la faire progresser ?

Pour en parler, nous avons rencontré Nicolas Beaudouin, Associé – Directeur du développement Paris & Centre chez KPMG, qui a piloté l’étude.

Eve le blog : Bonjour Nicolas. Pourquoi KPMG consacre aujourd’hui une étude aux femmes dirigeantes ?

Nicolas Beaudouin : Nous considérons chez KPMG qu’il nous appartient de creuser les problématiques transverses dans le monde de l’entreprise, pour le comprendre nous-même et le donner à comprendre, dans ses évolutions. La féminisation des équipes dirigeantes est un fait important des dernières années. On en parle beaucoup, c’est une préoccupation des entreprises, dont la nôtre, pour qui le développement du leadership des femmes est à la fois un objectif sociétal et un objectif business… Avec cette étude, nous avons voulu aller voir ce qu’il en est dans les faits : combien de femmes sont dirigeantes, est-ce plus qu’il y a 10 ans, quel a été leur parcours, quelles sont leurs perceptions, quelles perceptions les dirigeants hommes ont d’elles…

Eve le blog : Alors, sont-elles effectivement plus nombreuses que par le passé ?

Nicolas Beaudouin : La part des femmes dans les équipes dirigeantes reste faible, en progression certes, mais en progression lente. Elles étaient 12,8% en 2003, elles sont 14 % entre 2013. Il y a une dynamique, en particulier dans les grandes entreprises où l’on observe des progressions assez fortes… Mais on partait d’assez bas ! Ce qui fait que même en doublant la part des femmes sur la période, les équipes dirigeantes des entreprises de plus de 1000 salarié-es n’en comptent aujourd’hui que 7,5%.

Eve le blog : Quelles sont les voies d’accès des femmes à des fonctions dirigeantes ? Sont-elles toujours plus ou moins appelées à créer leur propre entreprise pour pouvoir percer le plafond de verre ?

Nicolas Beaudouin : La création d’entreprise reste une voie prioritaire d’accès aux fonctions dirigeantes pour les femmes. C’est un indicateur à recouper avec le fait qu’on les trouve davantage à la tête de TPE et PME qu’aux commandes de grandes entreprises. D’autres voies d’accès aux responsabilités semblent se déverrouiller. La transmission bénéficie aujourd’hui davantage aux femmes qu’aux hommes. Cela mérite d’être souligné car longtemps, l’entreprise familiale était par défaut confiée aux fils ou aux gendres. Il y a un vrai mouvement de ce côté-là. Enfin, la promotion interne a été la voie d’accès aux fonctions dirigeantes pour 27% des femmes que nous avons interrogées, soit autant que pour les hommes. L’étude révèle aussi que la durée du parcours qui permet d’atteindre des fonctions dirigeantes est à peu près la même pour les hommes et pour les femmes : il faut en moyenne 10 ans et 3 mois d’expérience dans l’entreprise pour eux et 10 ans et 6 mois pour elles. Avec des variations selon les secteurs qui recoupent les indicateurs de mixité des filières : le parcours est plus long pour une femme dans le BTP et dans l’industrie, il est plus rapide dans le commerce et les services.

Eve le blog : Vous vous êtes intéressé aux freins que rencontrent femmes et hommes dirigeant-es dans leur parcours. Un indicateur saute aux yeux : la convergence de la préoccupation de l’articulation des temps de vie…

Nicolas Beaudouin : En effet, femmes et hommes citent comme premier frein, à des niveaux équivalents, la difficulté de conciliation vie professionnelle/vie personnelle. Ce constat met en échec deux stéréotypes : un stéréotype de genre qui supposerait que la question de l’articulation vie pro/vie familiale serait quasiment une seule affaire de femmes et un stéréotype sur le dirigeant, quel que soit son sexe, que la caricature présente en individu qui « n’a pas de vie » en dehors du boulot. Or, les dirigeant-es sont bien des humain-es, et des humain-es normaux, qui ont une famille et qui s’en soucient… Bref, les dirigeant-es n’entrent pas en légion quand ils/elles accèdent au pouvoir !

Eve le blog : L’étude montre que certains freins restent cependant plus « féminins »

Nicolas Beaudouin : La confiance en soi, en particulier, reste une problématique majoritairement féminine. Les femmes sont 20% (contre 13% des hommes) à évoquer un sentiment d’incapacité ou une peur de ne pas être à la hauteur qui les aura freinées dans leur parcours. Il y a encore là un véritable enjeu des politiques de mixité : les femmes sont capables mais elles ont besoin de s’en convaincre davantage.
 
Eve le blog : Les femmes sont capables de prendre des responsabilités, mais on dirait aussi qu’elles n’y pensent pas… L’étude révèle qu’elles sont nombreuses à devenir dirigeant-es parce que l’opportunité s’est présentée, quand les hommes montrent des motivations plus volontaires : l’envie de participer aux décisions stratégiques, voire un certain goût du pouvoir. Cela, les femmes ne l’assument pas ?

Nicolas Beaudouin : Je crois que les femmes ne se sentent pas encore pleinement autorisées à devenir dirigeantes. Quand on leur dit “veux-tu être le chef ?”, elles savent dire “oui”. Mais elles n’osent pas suffisamment dire d’elles-mêmes “je veux devenir le chef”. Cela ne me paraît pas être un manque d’assumation, j’attribuerais plutôt cela à un défaut de projection : elles ne se voient pas, a priori, dans la peau du dirigeant. Ce qui est en cause ici, c’est évidemment les marques laissées par une histoire qui les a longtemps écartées des responsabilités et la perpétuation de stéréotypes qui disent implicitement que le chef est plutôt un homme et que les qualités pour l’être comme l’envie de l’être sont plutôt de l’ordre du masculin. C’est aussi le déficit de rôles-modèles féminins qui en découle. Je suis convaincu que c’est en banalisant les femmes dirigeantes que l’on effacera le sentiment d’illégitimité qui empêche certaines d’accéder aux responsabilités et qui travaille parfois aussi celles qui y sont arrivées.

Eve le blog : Sur de nombreux points au cœur de l’activité même du dirigeant (l’esprit d’entreprendre, le goût du management…), femmes et hommes se retrouvent. La femme serait un dirigeant comme les autres…

Nicolas Beaudouin : Et l’homme est une dirigeante comme les autres, aussi! On l’a vu avec l’équivalente préoccupation d’articulation de temps de vie comme on le voit avec une équivalente appétence pour tout ce qui fait le quotidien du dirigeant : le management, la prise de décision, le développement commercial etc. On le voit encore avec des taux similaires d’engagement des femmes et des hommes en faveur de l’égalité professionnelle… Et c’est encore vrai dans une certaine tension qui s’exprime entre cet engagement et le passage à l’acte. Les femmes dirigeantes ne sont, par exemple, pas plus favorables que les hommes au fait de privilégier une femme, à compétences égales, lors d’un recrutement pour un poste à responsabilité. On retrouve ici la figure du dirigeant devant celle de l’homme ou de la femme : toute forme de discrimination positive est perçue comme une rupture du principe d’impartialité et de la recherche d’équilibre qui fonde l’éthique du leader. Mais on retrouve aussi des stéréotypes intégrés quand, dans certains secteurs, comme le BTP, les femmes dirigeantes préfèreraient à 25% recruter un homme ; et dans d’autres, comme les services, où les hommes dirigeants privilégieraient une femme.

Eve le blog : Il y a quand même une conviction très forte chez toutes et tous, que la mixité est une bonne chose pour l’entreprise…

Nicolas Beaudouin : La conviction est là, et c’est une bonne nouvelle : femmes et hommes sont d’accord pour dire que la mixité fait gagner en efficacité, en qualité du management, en créativité, en dynamisme… Et que c’est un levier de création de valeur et de croissance pour l’entreprise. L’intention d’agir est là, aussi, chez 78% des femmes dirigeantes et 79% des hommes dirigeants. Maintenant, il faut passer aux actes. En l’occurrence, comme on s’adresse à des dirigeant-es, donc par définition à des personnes en situation d’agir, il est essentiel aujourd’hui, pour faire réellement progresser la mixité, de leur permettre de se doter de pratiques efficaces pour changer la donne.

Eve le blog : Parmi les pratiques intéressantes pour changer la donne, il y a la collégialité de la gouvernance, dont votre étude nous apprend qu’elle permet précisément aux femmes d’accéder plus nombreuses aux responsabilités…

Nicolas Beaudouin : La collégialité est une piste intéressante. Effectivement, d’un point de vue mathématique, elle laisse de la place à plus de personnes, donc potentiellement à plus de femmes, que lorsqu’il n’y a qu’un chef. Ensuite, on a l’argument convaincant d’une corrélation observée entre collégialité mixte et efficience des équipes et de l’entreprise. Enfin, le principe de collégialité a ceci de porteur qu’il change le regard sur le leadership : le pouvoir partagé, c’est un pouvoir qui s’exerce différemment, avec d’autres critères de légitimité, d’autres compétences que celles qui sont traditionnellement attribuées au chef masculin, d’autres pratiques… Ce qui peut aussi faire du bien à beaucoup d’hommes !

Propos recueillis par Marie Donzel et Marion Giroud (KPMG), avec la complicité de Véronique Baillard (KPMG), pour le blog EVE.