30 mai 2018 #Starbucks Etats-Unis : pour une séance de sensibilisation sur les discriminations raciales pour les 8 000 salariés.

Une opération de communication, sans aucun doute ; une thérapie collective, peut-être. Une journée portes ouvertes, certainement pas. Les 8 000 cafés Starbucks des Etats-Unis étaient fermés, mardi 29 mai après-midi, pour une séance de sensibilisation sur les discriminations raciales. Fermés à la clientèle et fermés à la presse.

Sur Broadway, à New York, avant la fermeture, on tente d’interroger André, un Afro-Américain qui fait sa caisse. Après avoir souri, il se ferme et répète ce que lui souffle sa cheffe : « Nous n’avons pas d’informations pour vous. » Un peu plus haut, dans l’Upper East Side, les clients ont été laissés en plan sur la terrasse tandis que l’équipe Starbucks cogite porte close. Enfin, dans un Starbucks de Chinatown, Selima Sangari, Afro-Américaine new-yorkaise de 20 ans, se confie, estime qu’il n’y a pas de problème de discrimination dans son Starbucks aux employés et clients de toutes origines : « C’est cool, ici. Nous sommes tous des minorités. Dans d’autres Etats, ils sont de manière prédominante caucasiens [blancs]. » Selon Mme Sangari, il n’y a pas de problème, mais il faut faire ce séminaire. « Car le cas de Philadelphie a un impact sur toute l’entreprise », explique-t-elle.

Eteindre l’incendie

Le « cas » de Philadelphie, c’est le scandale qui a ébranlé Starbucks le 12 avril. Deux Afro-Américains de 23 ans, Rashon Nelson et Donte Robinson entrent dans le café du centre-ville pour attendre un ami mais ne consomment pas et demandent l’accès aux toilettes. Le manager refuse et leur demande de quitter les lieux, appelle la police qui embarque les deux hommes médusés devant les clients. « Mais qu’est-ce qu’ils ont fait ? », demande l’un d’eux.

La scène est filmée et déclenche un tollé. Manifestation contre le Starbucks de Philadelphie, appels au boycott, la chaîne de café tente d’éteindre l’incendie : le manager est remercié, un accord financier – dont le montant n’a pas été révélé – est conclu avec MM. Nelson et Robinson, qui auront leurs études en Arizona payées ; la ville de Philadelphie présente ses excuses, leur verse un dollar et contribue à hauteur de 200 000 dollars à un fonds chargé d’aider les lycéens locaux qui aspirent à être entrepreneurs (43 % de la population de la ville est noire).

Dans la foulée, Starbucks s’emmêle un peu les pinceaux. L’entreprise, qui entend incarner le « troisième lieu », entre la maison et le travail, convivial, où l’on traîne pour discuter, où le wifi est gratuit, décide d’assumer son ouverture : les toilettes seront désormais accessibles à tous – jusqu’à présent, le code d’accès figurait très souvent sur le ticket de caisse – et il ne sera pas nécessaire de consommer pour venir.

Selima Sangari n’est pas très concernée : son Starbucks n’a pas de toilettes, mais elle pense que « ce n’est pas une très bonne idée, les clients vont devoir attendre ». L’initiative suscite une vague d’inquiétude auprès des habitués et des employés, qui craignent l’arrivée d’importuns, de sans-abri et de drogués. Starbucks a reprécisé son propos, expliquant qu’il n’était pas acceptable de consommer de la drogue et de venir dormir.

Enfin est arrivée la journée du 29. Une page pleine de publicité dans le Wall Street Journal, une vidéo du groupe, et une communication contrôlée – « Le 29 mai est censé être une conversation interne pour nos associés [le nom que donne Starbucks à ses salariés] », explique le service presse, qui refuse les demandes d’assister au fameux séminaire.

Un couple noir évincé, le manager licencié

La crise frappe Starbucks alors que son président fondateur Howard Schultz a par le passé montré son engagement libéral, au sens américain, c’est-à-dire de gauche. En 2012, il avait prié à ses clients de venir sans armes dans ses cafés, sans le leur interdire. Certains de ses clients du Midwest manifestaient pour pouvoir y entrer ostensiblement avec des armes. Puis en 2015, il avait voulu s’attaquer au problème des relations raciales en inscrivant sur ses tasses « race together », qui signifie à la fois les « races ensemble » et « courir ensemble ». Face aux critiques, il avait dû renoncer.

L’affaire de Philadelphie a fait émerger de nombreuses discriminations. En mai, un client d’un restaurant de New York, Aaron Schlossberg, ulcéré d’entendre un serveur parler espagnol avec des clients, avait fait un esclandre : « Je parie qu’ils sont sans papiers. Mon prochain appel, ce sera pour la police de l’immigration pour qu’ils soient mis hors de mon pays. »

L’incident a fait le tour du Net, tout comme l’intervention filmée d’un directeur de restaurant d’une petite ville du Texas, qui a voulu faire partir un couple noir pour donner sa table à un client « habituel ». Un habituel qui était blanc. Pourquoi ? « Parce que je ne vous aime pas », expliqua le manager. Le propriétaire du restaurant, Kim Forsythe, a licencié son manager tout en expliquant que « la race n’a joué aucun rôle dans cet incident ».

Mais selon un sondage NBC réalisé du 14 au 21 mai, 64 % des Américains déclarent que le racisme est un problème majeur dans leur pays. 40 % des Noirs, 26 % des Hispaniques et 15 % des Blancs estiment avoir été discriminés en raison de leur race dans un restaurant ou un magasin au cours du dernier mois.